Allongé sur le sol. Plongé dans le noir.
Vos membres souffrent énormément. Ils sont engourdis ou ankylosés par les nombreuses années à ne pas bouger. Vos tremblements débordent de votre être et parviennent jusqu'à vos mains qui se serrent en poings. Une étreinte puissante d'une vigueur rapidement retrouvée. Et plus forte ! Oui, vous la sentez dans vos veines, cette fureur de vivre qui cours à perdre haleine en vous, comme un flux mouvement d'acide dans votre sang.
Un vrombissement sourd à vos oreilles, et s'amplifie à chaque seconde. Votre rythme cardiaque s'accentue soudainement, puis se régularise tout aussi subitement. Vous entendez un souffle, quelqu'un respirer... mais ce n'est pas vous. Non.
Ce frisson de vie semble venir des murs autour de vous, du plafond au dessus de votre tête. Même sous vos bien, vous sentez les pulsations légères d'un cœur qui bat au même rythme que vous.
Vous comprenez.
Votre mort est intimement liée avec cet endroit. Cet asile.
Pourquoi ? Oh, mais vous l'ignorez, bien entendu. Cependant... quelque chose de secret vous motive. Après tout, vous revoilà revenu d'entre les morts, et ce n'est pas rien. Peut-être avez-vous l'âme obscurcie par un désir caché de vengeance ? Ou par la simple idée de torturer ? La soif de sang, ou la joie de courir après le gibier frais ? Peut-être cherchez-vous à vous enfuir d'ici ?

Les quelques souvenirs de votre vivant vous semblent flous, ou irréalistes. Les souvenirs de votre faiblesse d'avant, de votre folie longtemps maitrisée par les calmants. Vous vous revoyez assit dans cette pièce. Oui, vous vous trouvez dans ce même secrétariat qu'il y a de cela... tant d'années. Il fait sombre mais... vous revoyez ce bureau, et votre silhouette assise sur une chaise. Devant vous, il y a cet homme. Un psychiatre, ou un quelconque autre médecin qui vous oblige à rédiger votre dossier médical. Vous vous souvenez de sa voix, calme, basse, monotone comme un métronome.
Vous vous levez, mu par une sorte de pulsion électrique qui parcourt tout votre corps. Vous vous élancez vers ce bureau blanc, vers cette chaise et... plus vous avancez... plus votre souvenir s'éclipse. S'embrume dans votre tête... pour ne laisser... rien.
Une chaise vide. Un bureau blanc. Et une femme ? Oui. Une femme, encore une fillette, petite poupée de porcelaine, vêtue d'un rouge sanguin provocateur. Elle tente un sourire réconfortant, mais vous comprenez qu'elle n'a pas l'habitude de se forcer à paraître bienveillante, et qu'en fait, elle vous ment hypocritement. Le pire peut-être, c'est que derrière son sourire, elle ne cache pas l'ennui et la fatigue du travail dans ses yeux, et vous le percevez aussi clairement que si elle l'avait dit à voix haute. Elle vous montre la chaise devant elle et se penche vers sa gauche pour ouvrir un de ses tiroirs.
Grincement strident. Elle se mordille la lèvre, concentrée.
« Votre nom, s'il vous plaît ? »
Sa voix sucrée vous agresse comme un bourdonnement incessant d'abeilles voraces.
« Invité »
Elle ne lève même pas les yeux vers vous pour accueillir votre réponse : elle s'en fout. Au contraire, elle continue de fouiller son tiroir, fait défiler les dossiers sous son index expert et... Quelque chose se bloque dans votre esprit. Cette femme est-elle un esprit, comme vous ? Est-elle morte ? Toujours vivante ? Ses mouvements mécaniques ne vous aident pas à comprendre qui elle est...
Elle retire brusquement un dossier, faisant éclater votre concentration en mille miettes, et lance vers vous un dossier déjà rempli par vos soins, mais il y a de cela... très longtemps. Vous reconnaissez votre signature, vos mots, votre vie minable. Il s'agit bien de votre écriture, stressée, bourrée de fautes ou simplement sinueuse comme les courbes d'un fleuve mouvementé.
« Vous pouvez le lire si vous le souhaitez. »
Oserez-vous ? Lire ce que vous avez écrit. Vous souvenir ?

Le temps passe.
« Bon, bon. Cela suffit. Rendez-moi ce dossier, et circulez. »