A L'INNOCENCE D'UN SOURIRE
L'INEPTIE RIT
Nom : McGowen ou Gowan, ou vers là, pas très loin.
Prénom : Je m'appelle Maya. Ma-ya. Oh, le joli mot. Je déteste qu'on l'écorche.
Âge (Date de naissance) : J'ai vingt trois ans, depuis longtemps. Je suis née en hiver, j'en suis certaine. Parce que à chaque début de ma vie, le froid, et puis la neige aussi, souvent les deux. Moi j'adore la neige, c'est.....que ? Pardon ? ..pas de temps à perdre ?
Ben là c'est écrit, ici, sur le dossier.
08 Janvier 1887 quelque chose, vous ne voulez pas que je vous mâche le boulot aussi ?!
Déroulement de votre mort : "Jack !" une plainte, encore, et ce bruit insupportable de mastication. Le feu avait faim, horriblement faim. Je me suis saisie de l'armoire et je l'ai poussée jusqu'à la porte. Avant de fermer les yeux et de serrer les dents..
"Bordel-de-merde-Jack TU VAS FERMER TA GUEULE ?!" L'homme en question était sur le lit, les mains sur ses oreilles. Il dodelinait sa tête de gauche à droite, pleurant à chaudes larmes. Je me suis éloignée de la porte, et déjà la fumée s'engouffrait sous le pan de cette dernière. Fumée pour fumée..j'ai trifouillé maladroitement dans ma poche, en ai ressorti un petit paquet. Mon secret, ma contrebande à moi. Ici, j'avais tout, ici j'étais respectée.
"Ca va pas changer.." dis-je comme pour me rassurer, chipant une clope et la portant en bouche. Une main au dessus de ma cigarette , une autre en dessous pour l'allumer...Je tirai une taff.
"On on v..v...VA..mou...mo...mourr..""ON VA PAS CREVER JACK, T'AS COMPRIS?!" étouffai-je entre mes dents.
Longue inspiration de nicotine, frisson dans tout le dos et puis..des cris. Je rangeai ma boîte d'allumettes. Derrière la porte, des hurlements de souffrance et une horrible odeur de roussi.
"Oooh..oh..mon dieu, mon dieu..protégez moi...je..je..donne... nous notre pain quotidien, pardonne-nous... nos..." balbutia Jack.
Seconde bouffée que j'envoyai en l'air avant de me rapprocher de l'entrée. Je ravalai une quinte de toux, les yeux brûlants. Demi-tour, coup d'oeil vers les fenêtres condamnées, oreille tendue vers les prières et les souffrances. Dans la salle d'à côté, les gens avaient cessé de crier. Je fis le rapprochement, inconsciemment. Volets cloués, absence du personnel, absence de cloche...Est-ce que par hasard ils...?
Choc. Soudain, je percutai. Je percutai que personne ne viendrait nous chercher, que cela était loin d'être un accident.
Mon souffle court et un vertige lié à cette prise de conscience. Ma bouche s'est entrouverte davantage, mon mégot s'est écrasé au sol.
"Que..qu..tu fais QUOI? ..Ma..ma..MAYA" s'étrangla l'homme lorsqu'il me vit déplacer la commode pour la seconde fois.
Face à mon silence il s'emballa.
"Nonn ! N'...ouvre pa..pa..pas la porte..ou on ..va..va..""JE VAIS JACK ! JE VAIS ! TOI TU POSES TON GROS CUL SUR CE LIT ET TU RESTES LA!"Le visage de Jack pâlit, se décomposa, tandis que le crépitement du feu affamé se faisait plus joyeux.
"Tu..m'abandonnes?" dit-il, d'une petite voix.
Jack le bégayeur qui ne bégayait pas...merde alors, est-ce que c'était donc vraiment la fin ?
Je me suis saisis d'un chiffon qui trainait sur la commode branlante et j'ai tourné la poignet de la porte...
"Tu t'attendais à quoi d'autre de ma part, l'illettré ?" répondis-je, avant de sortir et de refermer derrière moi.
...Tout juste le temps de voir, et ma silhouette qui vacille. De la fumée. Il y avait de la fumée partout. Par instinct, je me suis couchée au sol, au milieu des corps déjà morts ou prêts à l'être. Mes yeux fermés, j'avançai à tâtons, coudes au sol butant contre les habits et la chair, m'éloignant de la fournaise qui se rapprochait.
J'ai bifurqué quatre fois, mes bras rappés jusqu'au sang, une toux si rauque que j'avais l'impression de recracher un peu de mes poumons à chaque fois..
..Second vertige, volutes qui piquent la gorge et finissent par l'irriter, l'enrouer, abolir petit à petit sa fonction primaire : celle de respirer.
Le feu était derrière moi, derrière moi, j'allais sortir..je sortirai. Quitte à défoncer les murs, à arracher les clous un par un avec les dents s'il le fallait, j'avais encore du temps..
...encore du temps.
Je me suis redressée une fois la fumée moins dense et, lorsque mes jambes m'ont supportée, j'ai légèrement tourné de l'œil. Un haut-le-cœur, un poing au niveau de mon œsophage mais...mais.....
....une main s'est refermée sur moi. Ma vision grise a quitté le couloir, l'espoir vain de m'en sortir, à regrets.
Malgré son état, l'homme tenait sa force de sa peur, de ses nerfs, du fond de ses tripes..et quel..homme..quel homme.
"Milo..laisse-moi y aller."Milo, milo, le feu, tu ne l'entends pas? Il arrive ! Je dois fuir, fuir fuir fuir fuir! L'homme m'attira alors à lui, les sourcils froncés. Ce monstre, cette raclure qui jubilait tout comme moi d'infliger et de laisser pourrir..il..il..
"Chut. Là, là, Maya." me murmura-t-il en me caressant les cheveux, avant de, lentement, progressivement, reculer jusqu'au mur et de se laisser glisser. Irrémédiablement je le suivais. Dans les limbes. Je me sentais tellement fatiguée...tellement..
"Alors on va vraiment..." ne pus-je que prononcer, incapable de finir par
ce mot.
"Oui, Maya, oui."
Description physique :Elle lève le formulaire jusqu'à son visage, surprise, quasi-éberluée. Cette question lui semble être totalement aberrante. .Mon physique ? Le MIEN? Dieu du ciel, je ne vous rappelle donc rien ?!
Mais si, regardez, regardez ! Ces yeux de biches, deux perles serties et polies, tant que, en comparaison, le bleu de l'océan lui-même n'en est que plus pale, que le ciel tire vers une couleur laiteuse et morne ; et ces cils noirs, ourlés, longs, fins, jouxtant à peine le regard pour clamer haut et fort : ma supériorité. Et mon nez, ah mon nez ! N'est-ce pas le plus beau nez de toute la terre ? Ni trop gros, ni trop petit, l'arête en est droite, le bout relevé, juste ce qu'il faut, soudoyant mes pommettes hâlées dont le teint rappelle celui des choses convoitées que l'on trouve au fond des coffres ou vers l'horizon, et que jamais ne semble-t-il que l'on puisse les effleurer un jour.
Et elle pose ses doigts sur sa bouche, à peine, comme n'osant trop la toucher.Voyez, ici, mes lèvres. Une douceur exquise, un seul mot, une unique phrase, on est tout de suite subjugué c'est évident ! Et comme je vous comprends..car après tout il n'est pas donné à tout le monde de contempler pareilles commissures, aussi beau sourire, merveilleuse euphorie, dont la dentition ne gâche en rien le plaisir de l'oeuvre, si ce n'est que cela embellit davantage la chose -dans la mesure du possible entendez bien!
Mes cheveux..Oh , des fils d'or tressés par les chérubins dans la plus pure des traditions. Il ne se passe pas une seule journée sans que l'envie d'y plonger ses doigts dedans n'y soit, pas une seule! A la taille qui lui incombe pour dévoiler ma nuque de parangon, dont les pointes sont lisses, la base douce et propre, la palette colorée et vaste. Du gris, du noir, du châtain..
Mon corps est le prolongement d'une ébauche déjà parfaite. Cou, épaules, poitrine, hanches, croupe, poignets, chevilles, mains, pieds, avant bras, bassin, strictement toute mon anatomie est proportionnée, égale, comme un équilibre que le plus petit os de travers aurait tout écroulé. Mais non, l'excellence même vous dis-je !
Et je ne suis
pas petite..
Quant à ma démarche....aaah, ma démarche! J'ai les épaules carrées et le menton relevé, et jamais je ne choisis ma direction avec l'indécision qui prend à la gorge nombres de personnes. Non. Les pavés, je les soupèse de la pointe de mes pieds et lorsque je les dépose enfin, jusqu'à la plante , c'est comme si je voguais. VOGUAIS, oui!
Alors ? Alors ? ! Ne trouvez-vous pas que je ressemble à un ange ?
: Description psychologique :Elle agite ses jambes, tape de ses petites mains et claque la langue.J'ai le privilège de m'auto-sonder ? Jolie promesse.... Bien, juste le temps de m'assoir convenablement et....voilà. Que voulez-vous savoir ? Ce qui m'a poussé à devenir un esprit, le pourquoi du comment de mon profond délire ?
D'après autrui, je suis une vermine. Vous savez cette pourriture aux yeux écrasés et à la trompe suceuse de sang qui enfonce ses deux petites quenottes jusqu'à la moelle et jamais ne vous lâche d'un iota. Et bon Dieu, que cela peut faire mal. Ainsi trainante, tapie, lorsque je saisis ce que je convoite, je ne l'abandonne généralement pas de sitôt. C'est d'ailleurs un exploit que ma
douceur s'en soit si bien sortie lorsque mon dévolu a grimpé comme jamais. Je me suis sentie atteindre un point culminant nommé Nirvana...Cristal, l'as-tu ressenti, toi aussi ? Oh, je ne pense pas. Je ne l'ai croisé qu'une seule fois. Elle était seule, assise comme on se met ainsi pour ne plus jamais se relever. Cette fille..cette femme moche, plate, insipide aurait pu me passer au travers de l'esprit (et ici, le mot est nettement approprié.) Mais il a fallu que je sonde une lueur dans ses yeux pour m'y retrouver. Cette patiente, Cristal Fleming, possède une partie de bonté qui retient son souffle, quelque part....et que je rêve d'éteindre.
C'est décidé, c'est elle que j'ai choisi.Je me plais à penser que je suis une prophète. Les patients de cet asile sont des brebis égarées qui n'attendent qu'un bâton pour connaître le bon chemin, le meilleur surtout. Aaaah, lorsque j'ai l'occasion de les guider, ma joie est immense. Elle déborde jusqu'à ce que ...que mes doigts se referment sur leur cou... Il faut avouer que je suis une bien belle bergère.
Là, donc, leur dis-je : tu sens ? est-ce que tu ressens ma puissance, ce qui fait la différence entre toi et MOI. Tu es si faible. Faible, faible, faible ! Et moi, que rien n'atteint, que même les murs ne peuvent en freiner le parcours....comprenez-vous ? Il est difficile d'exprimer avec des mots tout ce qui fait de mon existence une consécration.
Il est clair que j'aime avoir en moi ce sentiment de puissance, ce sens de l'inébranlable. Alors, lorsque j'ai l'occasion de garder des trophées de mes conquêtes, je ne m'en prive pas. Je me souviens...par le passé.. que, après avoir poussé à bout deux patients, après qu'ils en soient venus à se suicider, je me procurais toujours une trace de
ma bonne parole. Une mèche de cheveux, un bout de peau, j'affectionne tout particulièrement les os. Un doigt est si vite tranché et, sur un cadavre, qui chercherait à savoir...à comprendre ? Concernant les vertèbres, cela s'avère plus délicat..plus difficile à
extirper.
Je suis une perfectionniste, j'aime le travail bien fait. Je ne supporte pas le brouillon, l'ébauche, le non-terminé. Pour moi, tout débute et tout fini..laisser ainsi les choses en suspend est une horrible manie. De même les personnes molles sont insupportables, et leur bonhommie liée à un sourire pâteux de niaiserie me pousserait à des folies....rien que le fait d'y penser me met les nerfs à rude épreuve.
Oh, ai-je failli omettre une petite infirmité, je ne vois pas les couleurs. La variance de gris suffit en général à me guider sur les tons et , une fois outre passée les flammes, j'ai cru que les pigments me seraient rendus. Il semblerait que je me sois trompée.
Et qu'une chose soit claire, entre vous et moi, je ne crains rien. Strictement rien.
D'après le dossier 230, Maya McGowan souffre de troubles obsessionnels-compulsifs, de psychopathie, de kleptomanie, de narcissisme et possède un goût inquiétant pour la violence. Sa peur de devenir aveugle est phobique. Chose étrange, un homme du nom de Milo semble avoir été l'unique personne capable de l'influencer. [aucune autre information valable sur ce sujet.]
(une annotation 'sujet instable, à surveiller', à gauche des prescriptions, est soulignée trois fois.) Je suis née de l'étreinte ma foi repoussante entre une prostituée et un homme dit 'd'affaire' -bien que le terme soit désuet. Ma mère n'avait que dix sept ans lorsqu'elle tomba enceinte. Pour une jeune femme qui s'était toujours crue stérile, je vous laisse imaginer le choc. Elle comptait me faire sortir hors de sa vie, juste après ma naissance.
Mais, contre toute attente, au moment de me tenir à bout de bras, elle a été piquée par l'idée de me garder. Moi. Bout de pelure aux quenottes moites. Moi, un vain espoir dans sa rance existence. . Elle s'appellerait Maya, donc.
La marâtre tenta de raisonner ma mère.
"Que je serais mieux dans une famille d'accueil."
"Que l'univers des putains n'était pas bon pour mon équilibre psychologique."
"Surtout, qu'on avait pas le temps pour s'occuper des gosses."Mais
"Flora", chère maman, elle a rallongé sa dette à la "Rose rouge" et a obtenu gain de cause -pas le meilleur terme qui convienne, sûrement.
Bref, j'étais un bébé qui grandirait dans la luxure.
Dieu merci, -à défaut d'hériter de son nom- je n'avais pas hérité du visage de mon père. J'étais belle, j'étais un rayon de soleil dans le bordel. Lorsque ma mère partait "travailler" j'étais léguée à une catin. Il y en avait toujours une pour prendre sa pause, pour 'souffler un peu'.
Malgré ce que les gens pourraient croire, mon éducation n'en a pas souffert. Je sus lire, écrire, compter. J'apprenais vite, j'étais plutôt douée pour écouter et retenir. Et, surtout, je savais me tenir à carreau. L'inverse aurait été fâcheux car, dans un bordel, une enfant qui traîne au milieu des clients, c'est mal vu -très mal vu.
Je restais à l'étage dans une chambre et n'en ressortais qu'une fois les chalands partis.
Dans ce lieu, j'étais un trop. Un trop de naïveté, un trop de délicatesse, un trop de joie, un trop de tout. Mais ce fut beau, frai, un moyen comme un autre de rehausser le moral des troupes. Et j'ai grandi, et je suis devenue curieuse. Je tendais mon cou pour outre-passer un peu les règles, histoire de voir à quoi cela ressemblait : d'être au rez de chaussée. Je voyais des clients entrer, remercier, déposer leur chapeau haut de forme sur leur tête et passer la porte. Des fantômes.
J'ai su très tôt où je me trouvais, et ce qu'on y faisait. En même temps, même cachée, il y avait toujours des détails pour vous mettre la puce à l'oreille. Les fines lingeries, l'argent liquide..une phrase envoyée à la volée lors des discussions nocturnes. Preuves d'un bonheur éphémère - pour les consommateurs.
Ainsi disposée à me laisser prendre au piège, à espérer apercevoir, je me suis faite grillée. Lamentablement, je dois l'avouer. Je m'étais allongée sur une des marches de l'escalier, ma tête dépassant de peu des barreaux de la rambarde. Un client est entré dans le hall. J'ai tourné ma tête, il a tourné sa tête, est resté pantois. Son regard a coulé vers mes longs cheveux d'or, mes deux bijoux d'yeux. Il sembla être nerveux et, finalement, il s'en est allé.
Moi je n'ai pas compris la raison de son rapide départ.
Mais je la sus bien assez tôt. Quelques semaines plus tard ce même homme est venu quérir la marâtre de la Rose Rouge. Il a proposé un prix tant attractif, que cette dernière a du s'assoir à son bureau.
"Rien qu'une nuit, après, cela serait fini, après, nul n'en entendrait jamais plus parler. "Offre trop alléchante, évidemment, comment aurait-elle pu refuser ?
C'est une fois la nuit tombée que la sous-maquasse m'a appelée à la suivre. Il ne me serait pas venu à l'idée de désobéir. Ma si petite main dans la sienne, je fus envoyée dans une chambre. Différente, cette fois. Mais je ne m'en inquiétai pas.
Pourtant, aurais-je du..
Quand l'homme a ouvert la porte, une heure plus tard, à ma suite, j'ai percuté la raison de sa venue dès lors que mon regard a croisé le sien. La trouille qui agite mes jambes, une envie de vomir, j'essayai de fuir.
Bien bel espoir, trop vite froissé. Qu'est-ce qu'une enfant de huit ans face à une grande personne..? Rien, pas grand chose, un petit objet fragile.
Cet homme, à l'apparence érigée dans l'exquise politesse, m'a attrapée, crachée à la figure, meurtrie.
Cette douleur...au creux du ventre..jamais je ne l'eus oublié. Jamais.
Il a fini par s'endormir. Cette pourriture s'est endormie sur le lit tandis que je me berçai d'avant en arrière, que je me griffai le ventre, que j'espérai crever. Crever, oui.
Je ne sais pas si vous pouvez imaginer ce que j'ai ressenti à voir ainsi son visage dénué de remords, détendu, pendant que je me sentais pourrir de l'intérieur, avec lui,
ça, à l'intérieur. Maman qui m'abandonne..ma confiance qui s'écroule.
Je me suis prise une claque en pleine figure.
Il m'a semblé ne plus rien avoir à perdre. J'ai attrapé un ouvre-enveloppe qui se trouvait sur la commode de la chambre, je me suis assise juste à ses côtés....
Et j'ai frappé.
Très vite. Très profondément.
Une fois, deux fois, trois fois. Son sang sur ma lame, les draps, mes mains. L'homme a beuglé, m'a repoussée ; je suis tombée du lit en même temps que lui. Et vous savez quoi....? Tandis qu'il se mettait à jurer, gémir, tenir ses chaudes entrailles, j'ai...éclaté de rire. Victoire, l'euphorie complète. Maintenant...maintenant c'est moi, qui jouissais.
Un cadavre dans une maison close, bien fâcheux. Ma mère s'est rendue hors d'elle, a menacé sa propre marâtre, n'osait plus me regarder dans les yeux -partagée entre la honte et l'effroi. Quant à la maitresse de maison, elle qui avait toujours cru que ce qui était au bordel restait au bordel, dût faire des concessions. Je devais partir. Ma victime fut enterrée par un homme de main, l'incident passé sous silence. On m'envoya dans un asile sans autre forme de procès.
En 1895, il était facile d'y rentrer, mais plus difficile d'en sortir. Pas si différent de la Rose Rouge, je ne fus pas dépaysée de ce côté ci.
Je n'ai jamais revu, ni le bordel, ni ma mère, ni même la ville. Je crois que cela ne me manqua pas.. Pour moi, une nouvelle vie dans l'horreur devenue habitude...Je coupai mes longs cheveux, comme si, de ce fait, j'en sectionnais les fils du passé.
Et avalai la poussière.
J'étais l'une des plus jeunes de cet asile, l'une des plus faibles, donc. Victime de brimades, je parai comme je pus. Un jour, après m'être ouvertement foutue de la gueule d'un patient potant dont la chaise qui le supportait avait craqué sous son poids, je me suis reçue un 'soufflet'. Euphémisme, l'un des coups les plus lourds que j'eus à encaisser. La gifle me fit perdre connaissance. Deux semaines à l'infirmerie et ma vision devenue grise.
Depuis cet incident, je pris gare. Je me forgeai un nouveau caractère, je ne fis confiance à personne, montrant des dents, menaçant, violentant lorsque j'en avais l'occasion. J'en vins à y prendre goût.
A mes dix sept ans, je me créa un nom, une réputation. J'étais futée, consciente qu'il n'était pas judicieux de me frotter contre les plus emportés. Mes armes étaient mes mots, ma force, mon euphorie. Qu'on ne s'y prenne pas...je masquai mes craintes.
Une sangsue. Une fois repérés les plus fragiles, psychologiquement parlant, je ne les lâchai pas. Jusqu'à ce qu'ils paient,
d'une façon ou d'une autre. Les 'punitions' du personnel n'étaient pas un frein à mon ascension..J'y gagnai à dominer.
Meilleure place, un peu d'eau chaude, la dernière couverture, des cigarettes, des 'souvenirs'. Aucun remord, voler ainsi de folles personnes ne me paraissait pas être un délit.
Je ne me méfiais pas des violents, mais plutôt des futés. Ils trouvaient toujours un moyen de vous couper l'herbe sous le pied.
Quant aux personnes que je ne persécutai pas, elles étaient rares...Peut être que me retrouvais un peu dans leur comportement, raison pour laquelle je les laissai tranquille. Je ne garde pas de souvenirs de ceux que j'eus ignorés....à l'exception d'un jeune homme.
Eòghann. Son nom. Je m'en souviens. Je me souviens toujours des individus qui gardent une place, là, dans mon esprit. Il me rappelait la petitesse de mon enfance, et, pourtant, je ne le détestai pas. A ses côtés, je fus indifférente, mais à l'aise. A l'aise parce qu'il était comme un animal qu'on ne veut pas apprivoiser.
Puis..j'eus grandi, embelli surtout. Maya devenait femme, et démagogue. J'inspirai le respect, je me voulus ange, être intouchable..et cela marcha -à ma propre surprise. Une personne n'eut, néanmoins, aucun regard pour moi. Si j'aurai pu passer outre, (après tout, il n'était tout de même pas le seul.) je ne pus me résoudre à l'oublier. Diable qu'il était beau. Une statut d'ébène au milieu d'une déchetterie.
Dès ses premiers jours à l'asile il s'est défendu. Ses cheveux sombres, ses yeux de reptile noirs au fond des orbites, et déjà le malaise. Personne n'aurait été assez fou pour s'y frotter! Quoique...quelques uns, trop siphonnés, misèrent le tour de manche. Mon favori sortait toujours grand gagnant, avec juste deux, trois contusions.
J'étais captivée, envoûtée.
Au réfectoire, je l'ai retrouvé à une table, seul. J'ai porté mon plateau et me suis assise en face de lui. Je fus incapable de ne pas le regarder. Incapable.
Je lui ai alors demandé ce qu'il avait fait pour être là. Il ne m'a pas répondu. Sa main sur sa fourchette, il regardait son assiette en silence, comme ailleurs. J'ai alors piqué dans mon plat et me suis tue.
Pourtant, chaque jour, je revenais l'accompagner lors des repas...juste pour avoir une chance de le contempler...
Une nuit, je suis sortie hors des dortoirs. La porte avait beau être fermée à clé, nous, patients, avions nos combines. (une barrette à cheveux et un peu d'expérience venaient à bout des serrures les plus encrassées.) J'ai marché le long du couloir principal, prenant gare à ne pas croiser de gardiens. Soudain, une main sur mon bras, relevant ce dernier, me plaquant contre le mur. J'étais prête à me défendre, mais
ton regard m'en empêcha.
Tu me tordis le poignet, tiquas sur mon visage...Toi..ton indifférence, avait-ce été une comédie ? Malgré ma douleur, j'ai souris. J'étais presque certaine que, même si tu m'avais tué, ici-même, je ne t'en aurais pas voulu...Comment aurais-je pu ?
Tu me relâchas, comme si ce contact risquait de te toucher plus profondément sur ta fin, à un point tel que , jamais -ô grand jamais-, tu ne l'aurais admis. Et tu es parti, les épaules calées, les mains dans tes poches...tu t'y étais laissé prendre, aussi.
Melo, Melo...quand a-t-on commencé à vraiment se connaître ?
Quand ?
Et cet homme qui s'était foutu de ma belle gueule d'ange, m'envoyant un geste obscène de sa main, avant que tu ne lui fondes littéralement dessus. T'en souviens-tu? Un violent coup de poing. Le craquement qui en résulta fut mé-mo-ra-ble... La lippe éclatée, le nez cassé, avant que vous ne vous étalâtes tous les deux par terre. Les patients se sont agglutinés comme des mouches sur du miel. Moi je fus bien trop surprise pour réagir...bien trop.
J'ai compris. Compris que...
Ensemble, nous fussions invisibles.
Ensemble, nous créions notre monde.
Ensemble, je me sentisse
être.
Même le corps médical n'aurait pu éteindre mon élan de béatitude.
Enfin, cela, c'est ce que je croyais. Avant que les planches ne fussent posées contre les entrées, les sorties, les fenêtres, la lumière. Bonjour la naissance d'une nouvelle chaleur, davantage douloureuse. Au fond de mon coeur, j'ai brûlé.
Objectifs d'esprit : Il me vient l'envie de prêcher la bonne parole. Est-ce qu'un esprit est capable de se saisir de son voisin pour, ensuite, le faire sortir de son enveloppe ? Ouuuh, que c'est excitant !
Premières impressions :Ma tête, mon corps. Mon coeur s'est tu, mon souffle, muselé à jamais, n'est plus.
Allongée, aveugle, je porte mes mains à ma bouche, tâte mes lèvres fébrilement. Une inspiration, forcée, mais rien. L'oxygène me manque, mes poumons ne fonctionnent pas. Si je ne respire pas bientôt je vais étouffer.
Je crispe ma mâchoire, échappe un sanglot. Je déteste être ainsi, sans défense. Cela me ressemble si peu, j'ai toujours pu, j'ai toujours su, j'ai toujours tout fait. Alors pourquoi ? Pourquoi ?!
Mes doigts s'agitent, retombent à terre, cherchent à se saisir de quelque chose, n'importe quoi..
..Je dois, je dois pouvoir...je..
"Melo.." je le murmure d'un air second, l'air de rien, l'air de tout. Et, quand je me surprends à avoir dit cela, je me fige. J'ai l'impression de sentir une odeur de chair brûlée. Fumée âcre.. Et, lui.
Sa main sur mon dos, bercement lugubre...Je me rappelle.
Mes yeux choqués s'ouvrent, observent longuement le plafond gris. Plafond reconnaissable..
"Que...?"